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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/300

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NICOLAS DE CUES

La Nature, avons-nous dit, c’est la synthèse (complicatio) de tout ce qui se fait par le mouvement ; elle ne serait pas une synthèse si elle n’était douée d’unité ; aussi est-elle lien, connexion, et union, et c’est par elle que l’ensemble des choses sensibles est un ; on peut donc dire[1] très justement de cette Nature qu’elle est l’élément universel.

Mais la Nature ne saurait subsister dans l’unité absolue, car elle n’est pas Dieu ; pour subsister, il faut qu’elle se contracte dans les choses sensibles, que son unité se résolve en diversité (alteritas).

Cette contraction se fait, d’ailleurs, par degrés ; au premier degré, l’unité de l’élément universel se résout en la pluralité de quatre éléments principaux.

Chacun de ces quatre éléments principaux est affecté à l’une des quatre régions qu’on peut tracer autour du centre du Monde ; c’est parce que chacune de ces régions est occupée par un élément qu’elle a, dans le Monde, une existence actuelle ; c’est parce qu’elle est, dans toute son étendue, tenue par un même élément, qu’elle constitue une région unique. Chacun des quatre éléments principaux est donc l’actualité et l’unité de la région à laquelle il a été affecté.

Mais, dans l’Univers créé, il n’existe ni acte pur ni unité absolue ; tout acte est mêlé de puissance, toute unité se résout en pluralité. L’élément pur, l’élément un ne se rencontre donc nulle part ; dans le Monde, il ne peut exister que des mixtes, et jamais aucun de ces mixtes ne saurait être réduit en éléments simples.

Bien qu’il contracte toujours en lui-même la pluralité des quatre éléments, un mixte peut s’approcher plus ou moins de la simplicité de l’un d’entre eux ; celui-ci est, dans la composition de ce mixte, l’élément dominant ; au mixte, il donne son nom ; un mixte, par exemple, tout en contenant en lui, non seulement de l’air, mais encore du feu, de l’eau et de la terre, peut être fort voisin de l’air élémentaire ; on lui donne alors le nom d’air.

Ainsi sont constitués les quatre corps auxquels nous donnons les noms de feu, d’air, d’eau et de terre ; en chacun d’eux se réunissent les quatre éléments principaux ; mais chacun d’eux prend le nom du principe qui domine dans sa composition ; les

  1. Nicolai de Cusa De conjecturis, lib, II, cap. IV ; éd. cit., t. I, pp. 97-98.