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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/307

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

tienne, l’union du souverain Bien, qui est Dieu, avec l’âme du fidèle.

Nous ressentons [1] en nous-même une tendance qui détermine un certain mouvement, et l’objet de cette tendance, c’est le bien. C’est le bien qui est le terme de cette aspiration, mais c’est lui aussi qui la provoque, c’est lui qui, par sa propre force, attire notre esprit. Notre esprit ne tient que du bien lui-même le désir qui le porte au bien ; c’est le bien qui crée notre aspiration vers lui ; il en est, à la fois, le principe et la fin, et notre tendance ne peut trouver de repos qu’en son propre principe.

Notre âme tend donc vers Dieu [2] parce qu’elle désire s’unir à lui pour vivre de la vie surnaturelle ; mais ce désir, elle le tient de Dieu même, en sorte que le mouvement de notre âme pour aller à la vie, c’est-à-dire à Dieu, n’est autre chose que la venue de Dieu vers nous. Ici encore nous constatons l’identité des contraires, principe dont se réclame sans cesse le théologien de Cues.

Comme tout amour, l’amour entre Dieu et l’âme humaine tend à transformer l’un en l’autre chacun des deux objets qui s’aiment, à mettre Dieu en nous, à nous mettre en Dieu : Amor transformatorius amantium.

Cette formule d’Aristote est, pour ainsi dire, la pierre angulaire de tout le système métaphysique bâti par Nicolas de Cues ; partout, le Cardinal allemand découvre cette trilogie : Le sujet qui aime, l’objet aimé, l’amour qui les unit.

Le sujet qui aime sent en lui des puissances qu’il désire mettre en acte afin d’accroître sa propre perfection ; or il ne les peut mettre en acte qu’en s’unissant à l’objet aimé, et c’est pourquoi il aime celui-ci et descend vers lui.

L’objet aimé, de son côté, désire sortir de la simple possibilité où il demeurerait confiné si le sujet aimant ne l’en tirait ; il aspire à l’existence actuelle qui est sa perfection ; il aime donc l’être en acte qui, seul, la lui peut conférer, et il monte vers lui.

Entre le sujet aimant et l’objet aimé naît ainsi l’amour, l’amour qui est une double aspiration et une tendance réciproque, l’amour qui procède de l’agent parce que celui-ci cherche le patient, et du patient parce que celui-ci désire l’agent ; et chacune des deux tendances présente le même

  1. Nicolai de Cusa Cribratio Alchoran. Prologus. Ed. cit., t. II, p. 880.
  2. Nicolai de Cusa Excitationum, lib. III ; ex sermone : Sedete quoadusque induamini. Ed. cit., t. II, p. 437.