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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/337

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

L’impetus était traité de légèreté accidentelle dans le projectile pesant qu’il contraint de monter, de gravité accidentelle dans le poids dont il accroît la vitesse de chute ; dans chacun de ces deux cas, on le devait regarder comme introduit par violence, comme contraire à la nature ou comme superposé à la nature. Mais, dans un orbe céleste où il a été imprimé par Dieu au moment de la création, l’impetus ne lutte contre aucune nature, ne se superpose à aucune nature ; il n’est pas violent, et c’est ce qui lui permet d’être perpétuel ; on le doit donc regarder comme une forme naturelle, analogue à la pesanteur du corps grave ; on doit dire que les orbes célestes sont mûs de mouvement naturel par une forme qui leur est propre, comme la gravité est propre au corps pesant. C’est ainsi, nous l’avons vu, que Nicole Oresme interprétait l’enseignement de Jean Buridan,

Or Nicolas de Cues ne cesse, lui aussi, de déclarer que, dans une sphère parfaite, tel un orbe céleste, l’impetus qui communique un mouvement de rotation devient naturel ; et certaines expressions dont il use au sujet de cet impetus sont celles que la Scolastique appliquait au poids d’un grave.

Il semble, cependant, qu’à les serrer de près, ces expressions fassent, de l’impetus communiqué par Dieu aux orbes célestes, plus qu’une forme naturelle analogue à la pesanteur, qu’elles le traitent comme une âme véritable.

Si le Cardinal Allemand disserte avec Jean, duc de Bavière, sur le jeu du globe, c’est afin de lui expliquer de quelle manière Dieu crée l’âme au sein du corps. « Cette comparaison me plaît fort, dit Jean[1], qui assimile le globe à notre corps et le mouvement à notre âme. L’homme fait le globe, et aussi le mouvement, qü’il lui imprime à l’aide de l’impetus ; et ce mouvement, tout comme notre âme, est invisible et indivisible ; il n’occupe pas de lieu. » Mais un point lui paraît embarrassant ; ce mouvement communiqué au globe n’est pas une substance, tandis que notre âme a une existence substantielle. Nicolas va s’efforcer de dissiper toute obscurité à ce sujet.

« Le mouvement qui ne se meut pas lui-même est accident ; mais celui qui se meut lui-même est substance ; le mouvement n’est pas accidentel, en effet, à qui a le mouvement pour nature ; c’est ainsi que le mouvement fait partie de la nature de l’intelligence, qui ne saurait être intelligence sans le mouvement intellectuel par lequel elle existe en acte ; le mouvement intellec-

  1. Nicolas de Cues, loc. cit ; éd. cit., t. I, p. 214.