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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/343

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

naturelle propre lorsqu’il réside en un corps où rien ne le combat, ou rien ne l’atténue, ou rien n’interrompra sa perpétuité, c’est une pensée que nous devinons déjà chez des Parisiens comme Nicole Oresme ; mais qu’une telle naturalisation de l’impetus soit liée à une certaine configuration du mobile, c’est opinion que nous n’avons pas rencontrée à Paris. Que la distribution en fibres annulaires de la matière qui compose un corps puisse prédisposer ce corps à recevoir et garder un mouvement de rotation, c’est une supposition où Képler se complaît, comme en beaucoup d’autres suppositions analogues, et tout aussi peu raisonnables ; mais cette supposition n’était-elle pas très chère à Nicolas de Cues ? Le mouvement de rotation n’était-il pas naturel, au gré de celui-ci, en tout corps qui présente exactement une figure de révolution ?

Cette organisation fibreuse qu’il attribue à la terre, Képler la compare à la distribution des fibres musculaires dans le cœur ; et voici que cette comparaison le conduit à une supposition nouvelle où, plus encore qu’en la précédente, nous reconnaissons l’influence de Nicolas de Cues.

» Sans doute, dit-il[1], cette organisation de la terre en fibres circulaires la prédispose au mouvement qu’elle doit recevoir ; il semble, toutefois, que ces fibres soient plutôt les instruments d’une cause motrice que la cause motrice elle-même. De même, dans notre corps, les nerfs, les muscles, les ligaments, les articulations, les os sont parfaitement adaptés au mouvement, mais ils ne sont pas la cause première du mouvement ; ils sont seulement les instruments dont l’âme se sert pour mouvoir le corps. »

L’impetus communiqué à la Terre par le Créateur ne s’est donc pas simplement changé en forme ou faculté corporelle ; il est devenu âme. « C’est, d’ailleurs[2], une âme d’une espèce particulière ; elle ne confère à la Terre ni la croissance, ni la sensibilité, ni la raison discursive ; elle la meut simplement. » Mais bien mieux que le simple impetus, bien mieux même qu’une faculté corporelle, cette âme motrice assure la perpétuelle régularité du mouvement diurne. Ce mouvement, en effet, n’est plus du tout, pour la terre, un mouvement violent. « On nomme [3] proprement mouvement violent un mouvement, venu du dehors, qui meut un corps à l’encontre de sa propre nature ;

  1. Joannis Kepleri Opera, éd. cit., t. III, p. 178.
  2. Joannis Kepleri Opera, éd. cit., t. III, p. 175.
  3. Joannis Kepleri Opera, éd. cit., t. III, p. 175.