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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/342

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NICOLAS DE CUES

les orbes gardent perpétuellement le même mouvement de rotation ; Képler ne croit plus ni au mouvement des orbes célestes ni même à leur existence, il est disciple de Copernic ; il a fait descendre le mouvement diurne du Ciel en terre ; mais à la perpétuité du mouvement diurne de la terre, il applique mot pour mot ce que Buridan avait dit du mouvement diurne du Ciel.

Dans ce que nous venons de citer, donc, l’influence de l’École de Paris est évidente ; en revanche, l’influence de Nicolas de Cues ne s’y perçoit pas encore. Si Képler attribue la perpétuité à l’impetus chargé d’entretenir le mouvement diurne de la terre, c’est parce qu’aucune résistance externe, aucune tendance interne vers un mouvement contraire ne vient atténuer cet impetus ; ce n’est pas parce que la terre est parfaitement sphérique.

Mais Nicolas de Cues a comparé l’impression de l’impetus dans un toton à la création d’une âme dans un corps ; cette comparaison, semble-t-il, suggère à Képler les considérations nouvelles qu’il va maintenant développer.

Dans le toton[1] la species motus, l’impetus produit par l’impulsion de la main de l’enfant a pu se détacher de la cause motrice originelle, s’imprimer dans le corps du mobile et y demeurer un certain temps. Mais cette species motus par laquelle le Dieu créateur a, tout d’abord, mis en branle le globe terrestre, cet impetus initial a fort bien pu s’insinuer plus profondément et d’une manière plus durable dans le corps de la terre ; il a pu s’y changer en une forme corporelle spéciale ; cette forme corporelle, à son tour, a pu organiser la matière terrestre, l’adapter au mouvement qu’elle produit, la disposer en fibres annulaires dont tous les centres s’alignent sur l’axe de rotation du globe ; à cette organisation en fibres annulaires, correspond une faculté motrice spéciale ; la disposition de ces fibres confère à la terre une raison de se mouvoir d’un mouvement de révolution ; l’impetus, devenu forme corporelle propre, n’est plus simplement un hôte pour la Terre, comme il l’était pour le toton ; il se trouve chez elle comme s’il l’avait prise à ferme ; il en a vaincu et dompté la matière, et l’on comprend qu’une telle cause motrice garde une constante vigueur beaucoup mieux que ne l’aurait fait un simple impetus.

Que l’impetus cesse d’être un accident pour devenir une forme

  1. Joannis Kepleri Opera, éd. cit., t. III, p. 176.