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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

me paraît le plus propre à cette étude, je réponds sans hésitation que c’est Saint Bonaventure ; son enseignement, en effet, est solide et sûr, pieux, juste et dévôt. En outre, autant qu’il le peut, il se garde de la curiosité ; à son exposé, il ne mêle ni thèses étrangères ni doctrines profanes de Physique ou de Logique que des termes théologiques voilent à peine, à la façon de beaucoup d’autres ; lorsqu’il s’efforce d’éclairer l’intelligence, il a toujours en vue la piété et la disposition religieuse du cœur. Voilà pourquoi les scolastiques sans dévotion (le nombre, hélas, n’en est que trop grand !) le fréquentent moins qu’il ne faudrait, alors qu’il n’est pas, pour un théologien, de doctrine plus sublime, plus divine, plus salutaire et plus suave. »

En 1388, Gerson prêchait, pour le dimanche de la Septuagésime, une suite de trois sermons. C’est au troisième de ces sermons qu’il tenait le langage suivant[1] :

« Évitons et chassons les araignées ; Minerve, qu’on représente comme la déesse de la Sagesse, les a en horreur et en haine, car elles s’épuisent elles-mêmes le corps à tisser des fils bien fins, mais bien fragiles. Pourquoi le grand Caton voulait-il que, de Rome, on chassât Carnéade ? Tout simplement parce que celui-ci, s’adonna plus que ce juste à la subtilité sophistique, semblait oublier la vérité ou l’enténébrer. Sans doute, ce sont œuvres laborieuses et qui présentent beaucoup de difficultés ; mais, à les scruter, il ne convient pas de gaspiller tant de temps, alors que tant d’occupations s’offrent à nous, qui sont plus dignes d’être traitées… Mettons qu’elles soient admirables ; elles n’en sont pas moins inutiles et ne doivent pas retenir l’homme d’un génie modeste ; c’est à se rendre utile, en effet, qu’on se doit appliquer, bien plus qu’à se faire admirer. »

La recherche des discussions minutieuses était rendue plus insupportable encore par l’humeur querelleuse des écoles rivales ; convaincus que leurs subtils raisonnements atteignaient la réalité même des choses, Thomistes et Scotistes se moquaient des disciples d’Ockam, des Terministes qui n’élevaient pas leurs prétentions au-dessus des mots ; les Occamistes, à leur tour, tournaient en dérision les Thomistes et les Scotistes qu’ils accusaient de réaliser des chimères.

  1. Sermo factus per Johannem Gerson Dominica in Septuagesima MCCCLXXXVIII, tertia Oratio. (Johannis Gerson Opera, éd. cit., t. II, XLVII, H et I.)