Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
394
LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

demain un corps d’un pied cube, qu’on lui ajoute après-demain un autre corps d’un pied cube, et ainsi de suite à l’infini. Il est évident que A croîtra indéfiniment sans être jamais infini d’une manière actuelle. »

À cette objection, voici la réponse :

« On peut imaginer que chacune de ces additions se fasse par création (generatio) d’une nouvelle quantité ; de cette manière, en effet, le raisonnement suivant n’est pas valable : Telle grandeur est infinie en puissance ; donc cette grandeur est ou sera infinie en acte.

» On peut imaginer aussi que cette addition se fasse seulement en soustrayant à quelque autre corps le volume qu’on ajoute à A ; de cette façon-ci, sans aucun doute, ce raisonnement est conséquent : Telle grandeur est infinie en puissance ; donc il existe déjà quelque grandeur infinie en acte. En effet, une pareille soustraction ne pourrait, pendant un temps infini, se faire aux dépens d’un corps si ce corps n’était infini.

» Les théologiens admettent que Dieu peut créer d’une manière absolument nouvelle une multitude infinie de quantités, une multitude infinie de masses matérielles ; ils nieraient donc que le raisonnement en question fût conséquent. Aristote, au contraire, suppose que la matière première est soustraite à la génération et à la destruction, partant, qu’il en est de même de sa quantité, de sa grandeur ; il lui faut donc accorder que ce raisonnement est conséquent ; pour lui, en effet, une telle addition ne se peut faire par création d’une nouvelle quantité, mais seulement par la soustraction de cette quantité à quelque autre corps. »

La théologie catholique ouvrait ainsi à la théorie de l’infini des perspectives entièrement nouvelles ; de ces perspectives, le regard des physiciens de Paris s’était efforcé d’embrasser toute l’étendue, de pénétrer toute la profondeur ; ainsi s’étaient découvertes à leurs yeux des prévisions singulièrement clairvoyantes touchant l’infini syncatégorique et l’infini catégorique ; nos Parisiens en étaient même venus à reconnaître que leurs considérations sur l’infini pouvaient se dispenser de faire appel à la toute puissance créatrice de Dieu, pourvu qu’on les bornât aux longueurs ou aux surfaces et qu’on ne les étendît pas aux corps à trois dimensions ; la considération d’une certaine spirale servait d’exemple commode à leurs pénétrantes analyses.

De toutes ces analyses, la volumineuse Expositio super libros