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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/396

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PAUL DE VENISE

À ce sujet, suivant l’exemple d’Aristote et de son Commentateur, elle prend soin[1] de marquer que la question ne se pose pas de la même manière pour le géomètre et pour le physicien (naturalis). « Le géomètre considère la grandeur d’une manière abstraite et selon ce qui en est la raison propre ; le physicien la considère comme réalisée dans une matière qualifiée, comme terme ou passion d’un corps naturel. »

Le géomètre et le physicien vont donc donner des réponses différentes [2] à cette même question : Line grandeur quelconque étant donnée, peut-on toujours en donner une plus grande ?

À cette question, le géomètre va purement et simplement répondre : oui. « Mais, par là, il entend simplement ceci : Une grandeur quelconque étant donnée, on en peut, par l’imagination, donner une plus grande. » Cette proposition, concédée par le géomètre, le physicien la nie ; il nie qu’une grandeur quelconque étant donnée, on puisse toujours en donner une autre qui soit plus grande et qui soit réalisée dans la matière, présentée par un corps naturel. « Ce mot : donner, est équivoque ; tantôt il équivaut au mot : imaginer, tantôt au mot : exister ; dans la proposition du géomètre, il est pris pour le mot : imaginer et, dans la proposition du philosophe, pour le mot : exister… Aussi le géomètre accorde-t-il la proposition que nie le philosophe. »

La pure doctrine péripatéticienne est, ici, très-clairement formulée.

Le postulat sur lequel repose toute cette doctrine, c’est le suivant : Il existe un Univers fini, que borne une surface immuable ; à cet Univers, aucune puissance ne saurait ajouter le moindre corps. La croyance chrétienne en un Dieu dont la toute-puissance créatrice ne connaît d’autre limite que le contradictoire, devait remettre en question le problème de l’infini. Paul de Venise s’en est fort bien rendu compte.

La théorie d’Aristote affirme cette proposition : L’existence d’une grandeur qui est infinie en puissance requiert l’existence d’une grandeur qui soit infinie en acte. Contre cette proposition, notre auteur prévoit l’objection que voici [3] :

« On peut imaginer que A soit un corps ; qu’on lui ajoute

  1. Pauli Veneti Expositio super libros physicorum, lib. III, tract. II, cap. IV fol. sign. r ij, col. d.
  2. Paul de Venise, loc. cit., fol. sign. r. iij, col. a.
  3. Pauli Veneti Op. laud., lib. III, tract. II, cap. IV, pars I ; 3e fol. après le fol. sign. r iij, col. c.