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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/419

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

d’Aristote et d’Averroès. Contre ceux qui identifient le temps avec le mouvement même de l’orbe suprême, il emprunte à ses modèles cet argument. S’il y avait plusieurs mondes et, partant, plusieurs sphères ultimes, il y aurait plusieurs temps, ce qui est inconcevable.

Mais cette objection ne se retourne-t-elle pas contre la théorie péripatéticienne[1] que notre auteur admet ? « À des sujets multiples correspondent des passions multiples ; or, s’il y a plusieurs cieux, il y a plusieurs mouvements de ces cieux ; donc, s’il y a plusieurs cieux, il y a plusieurs temps. » Cette objection prend encore plus de force pour nous qu’elle’n’en avait pour Aristote ; au gré de celui-ci, si l’on pouvait imaginer plusieurs mondes, du moins n’en pouvait-il exister qu’un seul ; les chrétiens, au contraire, croient que Dieu pourrait créer plusieurs mondes. En le rappelant, Paul de Venise fait, comme en maintes autres circonstances, une évidente allusion aux décrets de 1277. Ainsi donc on peut supposer qu’il existe plusieurs mondes ; cependant, on ne saurait supposer qu’il existe plusieurs temps.

La difficulté est grave ; voici comment notre auteur la prétend résoudre :

« Lors même qu’on accorderait l’existence de plusieurs mondes et de plusieurs premiers mouvements, il ne faudrait pas accorder pour cela qu’il y eût plusieurs temps. Le temps est une passion du Monde, et cela qu’il y ait un monde ou qu’il y en ait plusieurs ; de même, la risibilité est une passion de l’homme, et cela, qu’il y ait un homme ou qu’il y en ait plusieurs. Déjà, un temps unique se propage à tous les points de ce monde-ci, car c’est le même temps, numériquement le même, qui existe au Ciel et sur la terre, à l’orient et à l’occident. De semblable façon, s’il y avait plusieurs mondes, un temps, qui serait numériquement le même temps, se propagerait à tous les points de tous ces mondes.

» Au troisième livre du Traité de l’âme, le Commentateur admet qu’il existe, pour tous les hommes, une intelligence unique ; selon cette théorie, il faudrait dire qu’une seule intelligence, numériquement la même, se trouve dans tous les hommes de ce monde-ci et de tous les autres mondes ; la multiplicité des mondes n’entraînerait pas la multiplicité de l’intelli-

  1. Paul de Venise, cap. cit., dubium prirnum ; fol. cit., col. d, et fol. suivant, col. a et b.