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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/78

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L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE

Frère Mineur Jean Paillard, qui avait été dépêché auprès du premier président, contait l’insuccès de ses démarches ; le Parlement demeurait sourd aux prières de l’Université ; il ne voulait point se contenter d’un seul exemplaire ; il les lui fallait tous.

L’Université ne se tint pas pour battue[1] ; elle décida d’insister auprès du roi, de lui représenter quel dommage porterait aux bibliothèques l’enlèvement de tant de livres. Quel succès eurent ses supplications, Robert Gaguin va nous le dire ; voici, en effet, ce qu’il écrivait[2] à Guillaume Fichet, qui se trouvait alors à Rome :

« Je poursuivrais ma lettre, si Je pensais que mon écriture trouvât en vous un bienveillant lecteur ; je vous conterais nombre de querelles de nos philosophes et de nos doctes ; il en est d’absolument ridicules ; d’autres sont devenues de vrais combats de gladiateurs ; elles se sont élevées entre les sectes des Nominalistes et des Réalistes (c’est ainsi qu’on les nomme).

» L’affaire en est venu à ce point que les Nominalistes ont été exilés par édit, comme si les démangeaisons de la lèpre les avaient infestés. Quant à leurs livres les plus célèbres, à ceux qu’il était défendu, sous peine d’interdit, de soustraire à la Bibliothèque des pontifes, le roi Louis a ordonné qu’on les enchaînât à l’aide de ferrures et de clous, comme par des entraves, afin qu’on ne pût regarder dedans. Vous croiriez que ces pauvres manuscrits ont été solidement liés, de peur qu’un accès de fureur frénétique et de folie démoniaque ne les pousse à se jeter sur ceux qui les examineraient. Tels les lions indomptés et les bêtes féroces que les cordes et la cage nous permettent de contenir. Voilà ce qui en est des Nominalistes. Quant aux Réalistes et aux Thomistes, à eux seuls l’honneur et la liberté ; bien qu’entre eux, clameurs et rixes soient incessantes. »

Pour obtenir le retrait de ces mesures à la fois odieuses et ridicules, il ne fallut pas, à l’Université, moins de huit ans de démarches ; le 29 Avril 1481, la lettre suivante était adressée à l’Université[3] :

« À Monsieur le Recteur et à Messieurs de Nostre Mère l’Université de Paris.

» Monsieur le Recteur ! le me recommande à vous et à Messieurs de Nostre Mère l’Université, tant comme je puis.

  1. Bulæi Op. laud., t. V, pp. 710-711.
  2. Bulæi Op. laud., t. V, p. 711
  3. Bulæi Op. laud., t. V, p. 739