l’art : c’est une vérité toute métaphysique et toute d’à priori (en a apparence), toute jeune, puisqu’elle n’a qu’un siècle, et vraiment neuve, puisqu’elle n’avait pas encore servi dans l’ordre esthétique. Cette vérité, évangélique et merveilleuse, libératrice et rénovatrice, c’est le principe de l’idéalité du monde. Par rapport à l’homme, sujet pensant, le monde, tout ce qui est extérieur au moi, n’existe que selon l’idée qu’il s’en fait. Nous ne connaissons que des phénomènes, nous ne raisonnons que sur des apparences ; toute vérité en soi nous échappe ; l’essence est inattaquable. C’est ce que Schopenhauer a vulgarisé sous cette formule si simple et si claire : Le monde est ma représentation. Je ne vois pas ce qui est ; ce qui est, c’est ce que je vois. Autant d’hommes pensants, autant de mondes divers et peut-être différents.
Et plus loin :
La seule excuse qu’un homme ait d’écrire, c’est de s’écrire lui-même, de dévoiler aux autres la sorte de monde qui se mire en son miroir individuel[1].
Cet idéalisme, dit à son tour Henri de Régnier, est la clé métaphysique de la plupart des esprits de la génération qui composèrent l’école symboliste[2].
Me sera-t-il permis de rappeler que mon premier livre, paru en 1886, les Hantises, portait cette épigraphe :
« Seule vit notre âme. »
Pouvait-on être plus idéaliste ?
Je vais vous citer une page du poète Nicolas Beauduin, publiée en 1913 ; vous y verrez, fort bien exprimées, les idées des poètes symbolistes sur l’idéalisme. Le piquant de l’affaire, c’est que ces idées, qui sont le symbolisme même, M. Beauduin les présente comme une réaction contre le symbolisme… Vous vous direz que l’excellent poète qu’est M. Beauduin connaît bien mal ses aînés…
Voici le texte de M. Beauduin ; je vous assure qu’il ne s’y trouve pour ainsi dire pas un mot que n’auraient pu contresigner les jeunes gens de 1885.