Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/40

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Pauvres,
Qu’est-ce que j’ai à vous dire ?
Je vous aimais.
Mes livres, mon Dieu, m’avaient parle de vous.
Je suis parti vers vous pour vous porter ma force.
Mais j’ai vu vos dos ronds, vos genoux arqués,
Vos yeux de chiens battus qui guettaient ma main.
Qu’est-ce que j’ai à vous dire ?
Il y a votre paume creuse entre nous.

La caractéristique que je veux retenir chez les poètes du commencement de ce siècle et dont André Spire a donné, à mon avis, l’exemple le plus parfait, c’est, vous le voyez, le retour au réel.

Cette tentative est-elle inconciliable avec la préoccupation symboliste ? C’est précisément ce que je nie.

Le symbole peut-il se dégager du geste le plus humblement réel ? C’est précisément ce que j’affirme.

Parce que l’on voulait écrire direct, fallait-il renoncer à cette interprétation symbolique de la nature qui avait été le grand apport de Mallarmé ? Parce que l’on voulait écrire réel, était-ce une raison pour recommencer à ne plus voir dans les choses qu’elles-mêmes ? Autrement dit, le symbole ne pouvait-il pas se dégager du geste le plus positivement réel ?

Je pense que la réaction réaliste des poètes du commencement de ce siècle contre le symbolisme mallarméen a été trop absolue, comme c’est le cas de toutes les réactions. Au contraire de ces messieurs, je crois que plus les choses seront vues dans leur immédiate réalité, plus il sera nécessaire d’en dégager la portée symbolique, et j’ajoute : plus ce sera facile !

Je vous citerai là-dessus les paroles d’un poète qui n’appartient pas au mouvement dont je vous entretiens, mais qui est un poète délicat et un écrivain dramatique d’une rare puissance, en même temps qu’un critique admirablement lucide ; je veux parler d’Edouard Franchetti. Les lignes que je vais citer de lui sont prises aux Essais de Critique Dramatique qu’il a publiés avant la guerre et qui méritent la place d’honneur dans la bibliothèque de quiconque aime les choses de l’esprit.