Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/48

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deux mots ont un sens précis, exact et étymologique ; dans la langue commune, ils ont un sens général et, par conséquent, vague.

Quelle est donc la loi qui permettra à l’écrivain de contrevenir à notre règle suprême de n’employer les mots que dans leur signification propre ? Ou mieux, quelle est la loi qui reconnaît aux mots des sens seconds, dérivés et plus ou moins éloignés de leur sens propre ?

Horace disait :

…Usus
Quem penes arbitrium est et jus et norma loquendi.

Vaugelas et tous les grammairiens répètent : l’usage !

L’usage, c’est bien vague ; l’usage de qui ? Vaugelas disait : L’usage des beaux esprits ; c’est une précision, mais qui n’est guère de notre temps.

Au lieu de l’usage, j’aime mieux dire : la prescription.

« La prescription, dit l’article 2219 du Code Civil, est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps. »

Cela signifie, pour ceux qui ne sont pas au courant des choses du droit, que si je reste, pendant un temps fixé par la loi, en possession continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, d’une chose qui ne m’appartient pas, il y a prescription : la chose m’appartient.

Le paysan qui occupe le champ d’autrui comme s’il en était propriétaire, le devient au bout de trente ans.

Tout, dans l’histoire des hommes, est une question de prescription.

Allons-nous, en France, prêcher la guerre d’indépendance contre les descendants des Romains qui ont conquis la Gaule avec César ?

La question d’Alsace-Lorraine est une question de prescription ; Louis XIV avait pris jadis l’Alsace à l’Allemagne… Y avait-il prescription en 1870 ?

Les Allemands nous ont pris l’Alsace en 1870… Y avait-il prescription en 1919 ?

Eh bien, messieurs, l’écrivain, le vrai écrivain, le grand écrivain est celui qui ne cède qu’à la prescription. Je reprends mes petits exemples :