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carpe ce qui est lapin ; la métaphore n’est possible qu’à force de sincérité ; elle n’est possible que si elle est voulue, absolument voulue, extraordinairement voulue.

La métaphore morte est le criterium simple et sûr à quoi l’on reconnaît un écrivain. Je vous donne le secret ; quand vous voulez savoir si un écrivain est vraiment un écrivain, examinez ses métaphores.

Je vous parlais tout à l’heure des clichés ; on s’en prend généralement aux clichés ; les pires clichés sont des métaphores ; je m’en prends directement à la métaphore.

Or, messieurs, voici, pour beaucoup d’entre vous peut-être, une grande nouvelle :

La métaphore est une invention moderne ; ou, pour être plus exact, la métaphore, extrêmement rare chez les anciens, n’est fréquente que chez les modernes[1].

La beauté antique, c’est, en architecture, la ligne ; en littérature, l’absence de métaphores.

Voltaire, Dictionnaire philosophique, écrit, au mot « Imagination » :

Presque tout est image dans Homère, dans Virgile, dans Horace.

Image, oui. Métaphore, à peu près jamais.

Je vous citais tout à l’heure une phrase de Gourmont sur Mallarmé ; j’en avais supprimé une partie ; voici la phrase complète :

Toute comparaison est formée de deux termes : la chose elle-même et celle à laquelle on la compare ; ces deux termes, les classiques les expriment tous les deux ; Hugo et Flaubert les unissent en une seule métaphore complexe ; Mallarmé les désunit à nouveau et ne laisse voir que la seconde image.

Gourmont commet là, en ce qui concerne les classiques français, une erreur radicale. Au lieu de « les classiques », il aurait dû

  1. Je désigne par « anciens » les écrivains appartenant à 1’« histoire ancienne », spécialement les Grecs et les Latins.