Page:Dujardin - De Stéphane Mallarmé au prophète Ezéchiel, 1919.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


III

Le réel


Le premier problème qui se pose à un artiste est celui de la sincérité.

Être sincère, cela ne signifie pas dire aux autres la vérité, ou ce qu’on croit être la vérité ; cela signifie, du moins en art, se dire à soi-même la vérité.

Qu’est-ce qu’un véritable écrivain ? Disons : Qu’est-ce qu’un écrivain ?

Celui qui emploie l’outil qui est le sien, — le langage, — à exprimer une chose qu’il a pensée.

On dit de même d’un peintre, d’un musicien, qu’il est, dans toute la force du mot, un peintre, un musicien, quand il exprime par les couleurs, par les sons, la vision qu’il a vue, l’émotion qu’il a ressentie.

Par contre, le mauvais écrivain, le mauvais peintre, le mauvais musicien, c’est celui qui emploie son outil à exprimer des choses qu’il s’imagine peut-être avoir pensées, vues ou senties, mais qu’en réalité il n’a ni pensées, ni vues, ni senties ; c’est celui qui n’est pas « sincère ».

Cela n’a l’air de rien : exprimer ce que l’on a ressenti ; et il n’est pas d’artistes qui ne croient dire ce qu’ils pensent ; en réalité, ils ne font que répéter et arranger ce que d’autres ont pensé avant eux.