Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/11

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chapeaux et de par-dessus. Y a-t-il ici quelqu’un connu ? Ces gens me regardent entrer ; un monsieur maigre, aux favoris longs, quelle gravité ! Les tables sont pleines ; où m’installerai-je ? là-bas un vide ; justement ma place habituelle ; on peut avoir une place habituelle ; Léa n’aurait pas de quoi se moquer.

— « Si monsieur… »

Le garçon. La table. Mon chapeau au porte-manteau, retirons nos gants. Il faut les jeter négligemment sur la table, à côté de l’assiette ; plutôt dans la poche du par-dessus ; non, sur la table ; ces petites choses sont de la tenue générale. Mon par-dessus au porte-manteau ; je m’assieds ; ouf ; j’étais las. Je mettrai dans la poche de mon par-dessus mes gants. Illuminé, doré, rouge, avec les glaces, cet étincellement ; quoi ? le café ; le café où je suis. Ah, j’étais las. Le garçon :

— « Potage bisque, Saint-Germain, consommé… »

— « Consommé. »

— « Ensuite, monsieur prendra… »

— « Montrez-moi la carte. »

— « Vin blanc, vin rouge… »

— « Rouge. »

La carte. Poissons, sole… Bien, une sole. Entrées, côte de pré-salé… non. Poulet… soit.

— « Une sole ; du poulet ; avec du cresson. »

— « Sole ; poulet cresson. »

Ainsi je vais dîner ; rien là de déplaisant. Voilà une assez jolie femme ; ni brune, ni blonde ; ma foi, air choisi, elle doit être grande ; c’est la femme de cet homme chauve qui me tourne le dos ; sa maîtresse plutôt ; elle n’a pas trop les façons d’une femme légitime ; assez jolie, certes. Si elle pouvait regarder par ici ; elle est presque en face de moi ; comment faire ? À quoi bon ? Elle m’a vu. Elle est jolie ; et ce monsieur paraît stupide ; malheureusement je ne vois de lui que le dos ; je