voudrais connaître sa figure ; il est un avoué, un notaire de province ; suis-je bête ! Et le consommé ? La glace devant moi reflète le cadre doré ; le cadre doré qui, donc, est derrière moi ; ces enluminures sont vermillonnées ; les feux de teintes écarlates ; c’est le gaz tout jaune clair qui allume les murs ; jaunes aussi du gaz, les nappes blanches, les glaces, les brilleries des verreries. Commodément on est ; confortablement. Voici le consommé, le consommé fumant ; attention à ce que le garçon ne m’en éclabousse rien. Non ; mangeons. Ce bouillon est trop chaud ; essayons encore. Pas mauvais. J’ai déjeuné un peu tard, et je n’ai guère de faim ; il faut pourtant dîner. Fini, le potage. De nouveau cette femme a regardé par ici ; elle a des yeux expressifs et le monsieur paraît terne ; ce serait extraordinaire que je fisse connaissance avec elle ; pourquoi pas ? il y a des circonstances si bizarres ; en d’abord la considérant longtemps, je puis commencer quelque chose ; ils sont au rôti ; bah, j’aurai, si je veux, achevé en même temps qu’eux ; où est le garçon, qu’il se hâte ; jamais on n’achève dans ces restaurants ; si je pouvais m’arranger à dîner chez moi ; peut-être que mon concierge me ferait faire quelque cuisine à peu de frais chaque jour. Ce serait mauvais. Je suis ridicule ; ce serait ennuyeux ; les jours où je ne puis rentrer, qu’adviendrait-il ? au moins dans un restaurant on ne s’ennuie pas. Et le garçon, que fait-il ? Il arrive ; il apporte la sole. C’est étrange comme divers de ces poissons ont des dimensions diverses ; cette sole est bonne à quatre bouchées ; d’autres sont qu’on sert à dix personnes ; la sauce y est pour quelque chose, c’est vrai. Entamons celle-ci. Une sauce aux moules et aux crevettes serait fameusement meilleure. Ah, notre pêche de crevettes là-bas ; la piteuse pêche, et quel éreintement, et les jambes mouillées ; j’avais pourtant mes gros souliers jaunes de la place de la Bourse. On
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