Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/17

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maison de campagne du Quevilly ; en avril le temps n’est pas assez chaud pour qu’on aille à la campagne. Je laisse ce fromage ; je n’ai plus faim. Que c’est agaçant, toujours dîner au restaurant ; personne ici à qui parler ; personne à voir ; pas une femme à regarder ; depuis huit jours, pas une femme ; un tas de messieurs quarts de chic ; ils viennent ici par gueuserie ; des décavés ; puis des avoués de province qui se croient chez Bignon. Trois francs et dix sous de pourboire ; et bonsoir. Je me lève ; je revêts mon par-dessus ; le garçon feint m’y aider ; merci ; mon chapeau ; mes gants, là, dans ma poche ; je pars. Voici une table où j’eusse été mieux, à droite, près la colonne ; des gens qui boivent des bocks ; les grandes portes, massives, en glaces ; un garçon m’ouvre la porte ; bonsoir ; il fait froid ; boutonnons mon par-dessus ; c’est le contraste à la chaleur du dedans ; le garçon referme la porte ; « bock, trente centimes… dîners à trois francs ».


III


La rue est sombre ; il n’est pourtant que sept heures et demie ; je vais rentrer chez moi ; je serai aisément dès neuf heures aux Nouveautés. L’avenue est moins sombre que d’abord elle ne le semblait ; le ciel est clair ; sur les trottoirs une limpidité, la lumière des becs de gaz, des triples becs de gaz ; peu de monde dehors ; là-bas