Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/24

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— « Je vais bientôt me marier. »

— « Vraiment ? »

— « Vraiment. Cela vous étonne ? »

— « Non. »

Se marier ; épouser une femme aimée ; pouvoir épouser une femme qu’on aime ; l’avoir. On trouverait donc ces choses, se marier, être ensemble, avoir sa femme…

— « Non » dis-je « cela ne m’étonne pas… Mais comment la chose s’est-elle fait si vite ? »

Il va se marier. Quel garçon avec son amour, son mariage, ces histoires qui n’arrivent qu’à lui !

— « Que voulez-vous que je vous dise ? » me répond-il. « J’aime une jeune fille qui m’aime et je vais l’épouser. »

— « Et vous êtes heureux. »

— « Heureux. »

— « Vous avez de la chance. »

— « Je me suis rencontré à une femme digne et capable d’amour. »

Il semble se croire seul aimé et qui aime. Je me rappelle pourtant…

— « Mon cher Hénart, si je me rappelle bien deux ou trois mots que vous m’en avez dits, c’est tout par hasard que vous l’avez connue, cette jeune fille. »

— « Tout par hasard, certes ; je l’ai vue pour la première fois, un jour, dans un jardin, avec deux autres jeunes filles ; je passais, un peu flânant ; elle était là, si fraîche, si simple : il y a plus de six mois déjà ; j’ai su où elle demeurait, puis son nom, ce qu’elle était… Voilà. »

Voilà ; il l’avoue ; dans un jardin ; trois jeunes filles ; je me suis assis en face d’elles ; j’ai tiré mon lorgnon ; je l’ai suivie ; voilà.

— « Et quand un mathématicien se sent une fois