Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/81

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— « Vous aviez froid, n’est-ce pas, Léa ? »

Et elle ne voulait pas rentrer, l’entêtée.

— « Vous devriez retirer votre manteau et votre chapeau. »

Elle demeure, devant le feu, parmi l’ombre éclairée par le feu, dans le fauteuil ; maintenant s’entête-t-elle à avoir trop chaud ? mais elle se lève, vive, vivement debout ; et d’une voix rapide :

— « Oui, il fait trop chaud ici. »

Elle enlève son chapeau, le jette sur le lit ; elle réajuste ses cheveux ; elle tire ses gants ; sur le lit ; je vais m’adresser à la cheminée ; elle déboutonne son manteau ; je vais l’aider.

— « Merci ; Marie va m’aider. »

Marie l’aide ; je reviens à la cheminée ; Marie emporte le manteau ; le feu davantage me chauffe les mollets ; Léa se tourne ; elle sourit.

— « Eh bien, que faites-vous là avec votre chapeau à la main et votre par-dessus boutonné ? »

Que veut-elle ? elle veut que je quitte mon par-dessus ? pourquoi ? rester ? ce serait possible… je lui ai répondu quelques mots… toujours souriante la voilà…

— « Si vous me le permettez… » disais-je.

Et lentement elle se tourne ; lentement, avec des hanchements, vers l’armoire-à-glace, en face de la cheminée ; près la croisée, sur une chaise, je mets mon chapeau, mon par-dessus ; sur mon par-dessus mon chapeau ; Léa, devant l’armoire-à-glace, ordonne les bouillonnés de son corsage sur sa poitrine et le ruban noir de son cou ; contre le mur je suis debout, contre le rideau fermé de la fenêtre ; dans la glace je vois sa mignonne figure et ses mines jolies, ce corps manifesté et dissimulé successivement par les habillements ; c’est la mode admirable de notre temps, qui sait cacher et montrer tour à tour