Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/82

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les formes féminines ; en des mouvements d’un charme très félin, tandis que tressautent sur son front mat ses cheveux, elle s’approche à moi ; y pensé-je ? voudrait-elle ce soir ? se va-t-elle laisser ? elle m’a dit de poser mon par-dessus ; quoi alors ? vers elle je fais un pas ; nous sommes près ; nous nous arrêtons ; oh, dans son regard, la vraie tendresse ! victoire donc ? est-ce le jour enfin ? câlinement elle murmure :

— « Si vous étiez gentil, vous iriez, là, cinq minutes seulement, dans le salon. »

— « Oui, très bien, comme vous voudrez. »

Sur la cheminée elle prend un bougeoir, allume les bougies ; ainsi, elle consent ? elle veut que je l’attende ?

— « Vous allez attendre ici ; cinq minutes ; surtout ne jouez pas de piano. »

Et refermant la porte :

— « À tout-à-l’heure. »

De nouveau me voici dans le salon ; combien autre qu’il y a une heure ! évidemment Léa veut que je reste, évidemment ; sans cela, elle ne me ferait pas attendre qu’elle ait achevé sa toilette ; et si aimable elle est ce soir ! je n’ai pas à en douter, elle veut que je reste ; mais pourquoi ce soir-ci plutôt qu’un autre ? et pourquoi pas ce soir-ci ? je n’en dois pas douter, elle me garde ; quelle émotion cette idée me donne ! dire que tout-à-l’heure elle m’appellera, et que dans sa chambre je rentrerai, et qu’entre mes bras je la tiendrai, que je déferai ses soyeux, longs, parfumés vêtements, et qu’en son triomphal lit tout-à-l’heure je l’aurai ! Ne nous grisons pas ; voyons ; faut faire attention à ce que je vais faire ; d’abord il serait bon que je prisse toutes mes précautions pendant que je suis seul ; depuis le boulevard Sébastopol, voilà presque six heures que je n’ai uriné ; le cabinet est à gauche dans l’antichambre ; il faut dans une conversation tendre être tranquille ; mais gare à