Page:Dujardin - Poésies, 1913.djvu/24

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chose de plus effarant, quand il allait, à la main de son père, parmi les rues de sa petite ville ? Et lorsque, plus tard, pour la première fois il eut, à travers la musique, la sensation de la forêt terrifiante où naquit et grandit le jeune Siegfried, où Fafner non loin du tombeau de Sieglinde gisait sur le trésor du monde, il se figura immédiatement dans son âme le bois de sapins de ses premières années, transfiguré, impénétrable.

Il avait passé trente ans quand il revit les paysages anciens. Et, comme il débarquait à la gare natale, il trouva la petite ville propre et discrète ; puis, ce fut le pauvre ruban de fleuve et la route ombrée de maigres tilleuls et la triste colline haute comme un mamelon, le plan de vignes, la carriole et le petit cheval maigre, avec des enfants qui criaient, la sapinière, enfin la maison toute grise avec deux rosiers rabougris et le laid balcon au-dessus de la pelouse étriquée.

Félicien me racontait ainsi son retour vers ces sites désenchantés. Il s’était levé et se promenait dans la salle de l’auberge.

Au dehors, la pluie avait cessé ; un peu de clarté se répandait à travers les nuages ; l’air était triste et doux.

Félicien, se tournant vers l’invisible, dans un mélange d’enthousiasme et d’ironie, la tête découverte, murmura, avec un grand geste interrompu :

— Ô humble paysage, paysage grandiose emplissant l’univers ! ô univers, mon rêve, qui nés qu’un pauvre