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Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/141

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Rhœa ; et ce cri fut tel qu’il rassembla sur le seuil de sa chambre le personnel de l’hôtel et quelques rares voyageurs. D’abord, une cascade de rires, sardoniques, les fit se regarder consternés, puis ils assistèrent émus à la toilette hâtive de la malheureuse, dont la folie s’exprimait en une incohérente grandiloquence.

— Le Nombre ! Le voyez-vous, le Nombre ? Eh bien, c’est contre lui que j’ai péché. Pourquoi ne m’arrêtez-vous pas ? C’est moi qui ai ouvert la porte à ce monstre… Ne me condamnez pas sans m’entendre… J’avoue… et je me répons.

Drapée dans le manteau gros bleu de l’uniforme de la Croix-Rouge, elle tourna sur elle-même et se mit à genoux tandis que de la rue montait le bruit de l’invasion et la joie gutturale des ennemis victorieux.

— Pardon !… aujourd’hui, ils les mangent les enfants que j’ai tués…

Tout à l’heure, il m’en a tendu un au bout de sa pique, car je suis une avorteuse, entendez-vous ? J’ai brûlé de la houille rouge ! À moi seule, j’ai anéanti plus d’un régiment et mes pareilles ont détruit tout un corps d’armée. Chut !… Les fourmis passent : elles vont atteindre le coq ; le coq de tous nos clochers ; le coq gaulois ! Il va mourir parce que ses poules n’ont pas couvé ! Mais que faites-vous là ? Pourquoi me regardez-vous au lieu de réveiller la France ? Elle dort, et les fourmis la dévorent !