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les manœuvres qu’on lui avait imposées jadis. Un bel enfant naquit que la sage-femme allemande présenta tout braillant à la mère.

— Il est peau ! Il est peau ! répétait-elle. On tirait t’un Allemand.

Jeanne Deckes les yeux démesurément dilatés regardait cette réduction d’humanité avec une stupeur indicible. Elle avait beau se remémorer la scène qui lui avait imposé ce fardeau, elle ne parvenait pas à détester ce petit. Elle avait pourtant blasphémé, rugi de honte et d’humiliation ; elle avait appelé sur la tête de l’inconnu, qui grossissait à ses dépens, toutes les colères des races ; rien de tout cela ne résistait à cette matérialisation de la vie. Le père ? Qu’avait-il été ? Un valet de ferme qui piétine un sillon, et qui, sans même penser à la moisson, fait machinalement le geste du semeur. Il n’existait pas plus pour elle que le cultivateur n’existe pour la terre, car enfin la graine humaine est elle-même le fruit d’un hymen précédent. Cet atôme eut déjà un père et une mère dont il est l’émanation et l’homme n’est que l’expulseur de l’embryon, qui cherche à parcourir un autre cycle. S’il en était autrement, le geste d’amour ne pourrait pas être accompli sous des impressions de haine et dans un but de souillure. Que fait le vainqueur pour humilier la vaincue ? Il la viole. Que fait le soudard ivre pour cuver son alcool ? Il viole. Que fait l’amant averti devant l’innocence de la vierge ? Il viole. Que peut-il rester