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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

peuple s’y entretenait de la résignation involontaire du patient, et discourait avec chaleur du bourreau[1] : il vantait beaucoup la dextérité de ce dernier, et le citait comme un homme merveilleux. On fit monter le vieillard ; lorsqu’il fut au haut de l’échelle, on cria : « Grâce ! grâce ! » Le peuple fut transporté de joie, mon cœur s’ouvrit à cette allégresse générale, je vis descendre le vieillard. L’instant d’après on fit monter le jeune garçon ; je m’impatientais déjà de ne pas entendre crier grâce, lorsque je le vis tomber ; je le cherchais des yeux, j’allais m’informer de ce qu’il était devenu, quand je le vis balancer dans l’air, et un homme sur lui, qui le détruisait. Ce spectacle me fit horreur, je me trouvai mal ; Ariste se mit devant moi, me donna de l’eau de Luce ; je revins, nous étions déjà loin de la Grève.

Retournée à la maison, je dis à mon amant : « Ton peuple est cruel, de goûter du plaisir à contempler une si triste exécution ! comment accorder cette méchante sensibilité avec les transports de joie qu’il a fait éclater à la grâce du premier voleur ? Pourquoi celui-là a-t-il eu son pardon, et l’autre a

  1. Ce n’est pas seulement le peuple qui tient des conversations sur les bourreaux, j’en ai été excédé dans la bonne compagnie ; chacun vantait avec chaleur les talents de sa province, en contait de jolies anecdotes. J’ai connu un riche Anglais, en commerce de lettres avec les bourreaux de dix à douze villes. Je le trouvai un jour à trinquer au centre de six. Les bourreaux sont des chirurgiens que nous méprisons mal à propos. Voyez leur article dans l’Encyclopédie, M. Diderot les a embellis.