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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

prêtres de ta cave qui sont assis dans ce paradis ? — Les prêtres de ma cave n’y vont pas et ceux-ci sont des excommuniés, qui n’iront jamais en paradis, s’ils ne quittent celui où ils sont nichés actuellement. »

On donna un coup de sifflet, je vis l’enfer : rien ne me parut mieux éclairé que cette caverne ; tous les damnés paraissaient enchantés d’être dans ce séjour, les diables dansaient à ravir. Deux chœurs de filles bordaient l’enfer, et formaient de chaque côté deux boutiques de tétons admirables. Une troupe de Savoyards habillés en anges parurent dans l’air attachés à des cordes, ils firent disparaître à l’instant ce joli enfer.

Je fus distraite par un homme vis-à-vis de ma loge. Il semblait voir les autres, et prendre du plaisir avec un peu de chagrin : je demandai quel était cet animal taciturne. « Tais-toi, me dit Ariste, respecte davantage cet homme, c’est un Suisse civilisé dans les montagnes de Savoie par un tonsuré : il se fâche contre toi, à cause que tu sens du plaisir à l’Opéra ; il assure que tout ce qui t’enchante ne doit pas plus affecter l’âme d’un homme de goût que ton mouchoir de poche au bout de ma canne. — Ah ! je m’en souviens, j’ai lu cela dans la Nouvelle Héloïse. Cet homme est extraordinairement sensé ; il a l’audace de me traiter d’idiote, et je bâille en le lisant ; dis-lui que j’ai été élevée dans une cave, éduquée comme lui au fond d’un puits, et que l’opéra m’amuse. »