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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

quoi ce révérend père en a toujours manqué. » La dévote, qui était janséniste, parut édifiée du jabot de M. Caraccioli.

On changea de conversation, on parla des bêtes ; Emilor avança que les animaux étaient nos frères. « Comment, dit la dévote, je suis donc, monsieur le philosophe, la sœur de mon chien ? — Assurément, madame. — Quelle horreur ! dit le marquis, la religion n’a jamais tenu un pareil langage ; lisez mes œuvres sacrées, vous ne trouverez pas un mot qui puisse appuyer votre système… oh ! ceci est original, je serais donc le frère d’un âne ? — Oui, monsieur le marquis, vous êtes le frère d’un âne, cela est prouvé dans mille endroits de vos capucinades. Dieu n’est-il point le père commun des hommes et des animaux ? les enfants d’un même père, ne sont-ils point frères[1]. Allons, monsieur, point d’orgueil, reconnaissez votre sang, il est de la même couleur : pour moi, plein d’entrailles pour mes frères, j’embrasserais un cheval avec plus de cordialité que Fréron, parce que mon frère le cheval n’a pas l’âme si noire ; j’aime, voyez-vous, mes parents à proportion de ce qu’ils sont plus honnêtes gens ? — Voilà du dernier détestable ! dit la dévote, je ne pourrai plus manger de poulets ; les frères se mangent donc ? — Oui, madame, dans la grande famille des êtres, les frères se mangent les uns les autres, comme dans la petite famille des hommes.

  1. Les animaux, selon Moïse, sont nos aînés.