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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

« M. de Berlingoville, continua Mme La Tour, nous a dit que vous étiez riche ? — On est riche assez, repartit ma belle-mère, quand on a de la probité ; nos richesses sont nos bras : nous avons biau travailler, nous tuons le bœuf pour avoir le sang ; heureux encore quand on peut manger du pain et que l’on ne doit rien à personne. — Vous avez un beau château, à ce que nous a dit monsieur votre fils ? — Comment, Pierrot se gausse comme ça ? C’est vilain de mentir, il ne faut jamais s’en faire accroire, notre châtiau est une chaumière, nous y vivons comme dans un châtiau, nous n’avons pas besoin de tant de place ; les gros seigneurs, quand ils sont morts, ne faisions point bâtir vingt ou trente appartements pour mettre leurs cadavres. Ces messieurs ne tenions pas plus de place dans la terre que des gens comme nous. »

Mme La Tour, que cette conversation divertissait, continua les questions : « Monsieur votre fils nous a dit qu’il était gentilhomme, que vous aviez dans votre chambre à manger les portraits de vos aïeux, votre arbre généalogique. — Un arbre, madame, oui vraiment, nous avons un arbre à notre porte, c’est un pommier qui porte de bons calevilles, il vaut peut-être mieux que celui. — Comment l’appelez-vous ?… l’arbre… mélancolique, qui est peut-être un arbre sauvage mal enté ? nous n’avons point de chambre à manger, nous mangeons, nous couchons dans la même chambre ; nous n’avons pas les portraits de nos pères, nous nous contentons d’être