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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

genêts qui entourent la petite cité, servaient de théâtre à leurs amours ; on y trouvait des mantelets de condition, des boîtes à mouches, des évantails, des breloques, des aiguilles à tricoter ; et contre les règles de nos drames, la scène souvent ensanglantée.

Un matin que je lisais le long d’une haie épaisse, j’aperçus Lucrèce qui venait de sa métairie. Un officier se hâtait de la rejoindre ; j’avançai vers l’endroit où ils s’étaient arrêtés ; l’officier lui disait de ces douceurs qu’ils ont coutume de dire aux filles, ce sont toujours les mêmes propos : « Vous êtes charmante, quelle figure ! je vous adore ; si vous résistez à ma flamme, mon parti est pris, cruelle, je me désespère ». Il tira son épée, s’en tourna la pointe vers le cœur[1]. Lucrèce sourit à cette comédie, et lui dit : « Si je vous croyais méchant, vous me feriez peur ; mais vous aimez trop votre prochain et vous-même pour craindre que vous attentiez à des jours que vous voulez me consacrer ; remettez tranquillement votre épée dans sa place, ces singeries n’effraient que les folles ; mon cœur est attaché, rien au monde n’est capable d’en ôter

  1. Les amoureux ont toujours l’envie de se désespérer ; il semble qu’ils se sont donnés le mot les uns aux autres. Ceux qui portent l’épée l’ont tous tirée pour se percer devant leurs maîtresses. Cette mode a passé chez les paysans, ils font les mêmes grimaces avec leur couteau. Nos gazetiers n’ont point encore annoncé une de ces morts tragiques ; depuis le temps que cette farce se joue, il est étonnant que les filles soient encore assez bêtes pour craindre le désespoir de leurs amants.