Page:Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

l’excès seul pouvait l’en guérir ; je la crevais de friandises. Ces drogues enflammèrent son sang, une fièvre violente la mit à l’extrémité ; les soins que je donnais, l’attention de lui faire avaler beaucoup d’eau, lui rendirent la santé. Lucrèce, comme le soleil sortant d’un nuage épais, reparut plus belle ; mes attentions dans sa maladie achevèrent de me gagner son cœur ; elle perdit entièrement le goût de la friandise, lui substitua celui de la lecture ; son cœur s’attacha tellement au mien qu’elle ne comptait de moments heureux que ceux que nous passions ensemble. Sa confiance depuis a toujours fait mon admiration.

Les dragons d’Elbeuf vinrent à Châteaubriand ; trois semaines avant leur arrivée le curé de la paroisse dont le zèle aveugle et fanatique faisait plus de mal que de bien, prêcha contre les dragons. Au premier coup de tambour, tout trembla dans cette petite ville ; les pères et mères crurent leurs filles égorgées, il ne mourut personne. Les dragons ne s’alarmèrent point de cette crainte ; ils savaient qu’elle ne durerait pas ; ils en plaisantaient eux-mêmes ; et quand la nuit venait, ils criaient charitablement : « Pères et mères, ramassez vos filles ! » Petit à petit, le beau sexe breton se fit avec eux. Une fille est un animal fort doux, qu’on apprivoise aisément. Le curé avait beau prêcher, ses plates figures de rhétorique ne tenaient point contre les dragons.

En moins d’un mois, ces messieurs s’arrangèrent tellement, que chacun avait sa chacune ; les bois, les