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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

moi, Manette est si jolie ; si vous aviez goûté le plaisir d’être dans ses bras… — Et justement c’est ce qui me donne de l’humeur, mon temps est passé, j’enrage. — Dans votre temps, n’avez-vous pas aimé les filles ? — Oui, mais cela ne se dit point aux enfants, les pères et les mères sont convenus de cet article d’un bout du royaume à l’autre ; et tant qu’il y aura des pères et des mères, ils auront toujours été sages. »

J’étais curieux de savoir la destinée de mon grand-père ; je lui demandai s’il était dans la gloire avec le Tien, ou dans le Ténare avec le Manitou ; il répondit, d’un grand sang-froid, qu’il était avec le Manitou ; je reculai deux pas ; à ce mouvement, il me dit : « Tu es un sot, la damnation n’est pas ce que tu penses ; ceux qui parlent chez toi de cet état le connaissent-ils, ce sont des aveugles qui jugent des couleurs ; ont-ils été chez le Manitou pour savoir ce qu’il s’y passe, ils bâtissent un enfer à leur mode, ou il n’y a pas de sens commun. Quand l’enfer de tes croyants serait vrai, ce serait encore un bonheur d’être damné ; les coupables ne seraient pas infiniment punis ; un damné existe, je ne vois rien de réellement malheureux que le néant ; à choisir, j’aimerais mieux être le Manitou que d’être anéanti, l’anéantissement est un million de fois plus affreux que la damnation des Turcs, tu vois donc que tes derviches n’ont pas bien imaginé leur enfer, puisqu’il y a un sort plus affreux que cette punition.

« Mais laissons ton enfer, parlons du mien, il est