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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

mon fils fera un jour un homme, s’il se souvient d’avoir été élevé avec la paille au cul.

Mon grand-père, guerrier comme un marchand d’images, n’avait pas peur des cloportes, des hannetons et des perce-oreilles. Pour me rendre inébranlable à l’aspect des pattes d’araignées, il en apportait par poignées sur mon berceau. Je jouais avec elles, comme le jeune Hercule avec les serpents. Il est essentiel, disait mon précepteur, qu’un enfant n’ait point peur des pattes d’araignées ; c’est un défaut d’éducation dans les belles dames de Paris, que leur aversion constante pour les vieillards, les ours et les araignées. Pour seconder les leçons de mon grand-père, ces insectes venaient ourdir leurs toiles autour des dentelles de mon béguin.

Mon grand-père était fort laid, l’âge avait encore ajouté à la nature. Pour m’apprivoiser avec les masques, il m’offrait trente fois le jour sa face monstrueuse. Je me fis insensiblement à la laideur de mon grand-père, je le trouvai beau comme un ange. Cet enfant, disait-il, se fait à ma physionomie ; il n’aura point peur des masques, il les trouvera toujours beaux, et c’est un agrément de voir toujours de beaux masques. Les masques sont très conséquents à la société ; tous les hommes en portent ; il est donc essentiel que les enfants se familiarisent de bonne heure avec les masques.

Pour accoutumer mes yeux au feu de la Saint-Jean et aux lanternes obscures de Paris, mon grand-père battait le briquet à chaque demi-heure