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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Une demi-heure après, je vis sortir du côté droit un homme en chemise, avec une longue cravate rouge ; il tenait la queue d’un animal, il trempa cette queue dans l’eau, dit un mot en criant, les assistants se mirent à brailler. L’homme en chemise vint me jeter avec sa queue de l’eau au visage : j’allai l’insulter, Ariste vit ma vivacité et me dit tout bas, de me contenir. Ce que je trouvai de plus original dans cette cérémonie fut la tranquillité du peuple aux procédés peu honnêtes de cet homme, et l’empressement de toutes les femmes pour avoir de l’eau de sa queue.

Ce même homme reparut un moment après, avec un accoutrement plus singulier. Il commença à crier pour s’informer si tout le monde était à l’église ; on répondit en mauvais français : ils y sont. Ces ils y sont[1] ne finissaient pas. Lorsqu’on eut braillé assez à son goût, il avança avec deux plats, un grand et un petit. Le peuple alla mettre ce qu’on appelle de l’argent dans le grand plat ; et pour son argent, on lui faisait baiser le petit plat. Chacun s’en retourna content, je ne sais pourquoi, d’avoir baisé un plat. Le plus singulier c’est que tous ces gens avaient des plats chez eux qu’ils pouvaient baiser sans donner un sol : « Comment, me disais-je en moi-même, les hommes de cette cave aiment l’argent, et ils le prodiguent pour baiser un plat ? »

Le prêtre monta dans une grande boîte, suspen-

  1. Si Imirce avait su le grec, elle aurait su que c’était le Kirie eleison.