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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

Étonnée de l’air tranquille dont Ariste me faisait le dénombrement de ses plats, je lui dis : « comment, monstre, tu manges des êtres, à qui ton maître a donné le jour, tu les détruits exprès pour les engloutir dans ton ventre ? comment peux-tu être aussi cruel, et peut-on souffrir dans tes villes un carnage aussi inhumain ? — Oh ! cela ne nous étonne pas plus que l’eau qui coule dans la Seine ; il y a vingt quartiers dans Paris, qui étalent ces membres sanglants et déchirés ; et la rue de la Huchette est remplie de gens qui les empoisonnent. Nous égorgeons des millions de bœufs, de veaux, de moutons et toute la nature pour nous sustenter. — La nature t’a-t-elle donné ces animaux pour les manger ! — Non, elle nous a donné le pain et les fruits ; mais comme nous sommes méchants, en rôdant dans les bois, nous avons vu des tigres déchirer les loups, les loups manger les moutons ; nous avons copié les tigres et les loups. — Tu choisis bien tes modèles ! mais comment se trouve-t-il des hommes assez barbares pour couper la gorge à ces moutons innocents ? — Il y a dans toutes les villes et toutes les campagnes, des gens qui font cette besogne en chantant ; les dames les plus sensibles traversent, sans être émues, les boucheries, et l’aspect de ces cadavres, leurs membres palpitants, le sang qui ruisselle partout ne les effrayent point. — S’il y avait un quartier dans Paris où l’on traitât ainsi les hommes, tes dames sensibles y passeraient-elles aussi tranquillement ? — Non, elles expireraient de frayeur. — Eh ! pourquoi n’ont-