Page:Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

elles pas la même crainte pour les pauvres moutons, qui te donnent leur laine ? Je te comprends, tu resserres ta sensibilité à ton espèce : penses-tu qu’elle serait moins parfaite, si elle s’étendait sur tout ce qui respire ? »

« Nos dames, plus dignes d’admiration que nous, ne restreignent pas leur amour à notre seule espèce ; comme elles aiment le changement, elles se sont éprises de belles passions pour les bêtes ; sans parler des maris, qui ne sont pas toujours les animaux les plus chéris, ni les mieux léchés, elles crèvent souvent de désespoir à la mort d’un perroquet, d’un serin et d’un petit chien… — Mangent-elles le chien ? — Que dis-tu ? elles n’ont garde. — Si tes dames dévorent sans horreur des bœufs, des veaux, des moutons, pourquoi ne mangent-elles point du chien ? — C’est que nous n’avons pas contracté cette habitude ; nos pères ont mangé quelquefois de mauvais ragoûts, mais ils n’ont point mangé de chien. — Il me paraît que la seule habitude te différencie des anthropophages ; va ! tu es plus cruel que ces peuples ignorants, ils mangent leurs ennemis, tu égorges les tiens sans pitié, et tu n’oses les manger sans horreur ! va, il y a moins de cruauté à les dévorer quand ils ne sont plus, que de les tuer pour satisfaire sa passion homicide de tout détruire ! »

Mon philosophe de sang mêlait aux chairs qu’il engloutissait dans son ventre, des drogues qu’il nommait du poivre, du sel, du vinaigre. Je demandai pourquoi il mettait chaque morceau de