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IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

non content de manger la chair des animaux, tu bois encore le principe de leur vie ! Quoi, cette liqueur vermeille, qui coule dans leurs veines, te désaltère ? ah, malheureux ! que ne m’as-tu laissé dans ta cave ! je tremble de vivre avec des hommes qui se nourrissent comme toi. »

Chaque plat était une cruauté, mais les boudins et la tête de veau m’épouvantaient davantage. « Comment, dis-je au philosophe, peux-tu savourer les ordures de cette tête ? comment tu dévores jusqu’au siège de l’instinct ou de l’intelligence de cet animal ? — Oui, nous mangeons la tête, les pieds, les pattes, la langue, le cœur, les poumons, les entrailles, et quelquefois les poils, par la malpropreté de nos cuisiniers. — Manges-tu aussi des têtes, des cœurs de frérons ? — Non, cela est trop détestable ; le fréron n’est bon ni à rôtir ni à bouillir. — C’est donc à cause qu’il ne vaut rien que tu le laisses vivre ? ton fréron est bien heureux de ne rien valoir. »

On apporta le second service ; je vis des chats écorchés et brûlés, des oiseaux, des coqs et des poules. Ces oiseaux, qui m’avaient paru si beaux dans l’air et dans la basse-cour, étaient monstrueux et défigurés. Mon philosophe, avec un air tranquille, coupait les cuisses, les ailes de ces animaux et mangeait ces membres mutilés et gâtés avec appétit.

Après qu’il eut contenté sa gourmandise, il donna un signal ; on leva tous les plats, on garnit encore