Page:Dulaurens - Imirce, ou la Fille de la nature, 1922.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
IMIRCE OU LA FILLE DE LA NATURE

chair dans sa poussière de sel et de poivre ? « Sans ces drogues, me dit-il, la viande n’a pas assez de saveur, ni assez de piquant pour irriter les fibres de notre palais. — Ah, cher ami ! ne vois-tu pas que la nature n’a point fait de ces viandes pour toi, puisque ton palais ou ton goût ne les trouverait point agréables, si tu n’ajoutais ton sel et ton poivre ? ton palais est l’échanson que la nature t’a donné pour essayer ce qu’il convient à ton estomac ; par l’assaisonnement de tes viandes tu trompes ton échanson, et tu crois, en trompant la nature, répondre à ses vœux ; je trouve les gens de ta cave insensés. »

Alarmée de ce sanguinaire repas, je priai le philosophe de m’expliquer les horreurs de sa table : — « Comment appelles-tu ce liquide bouillant que je vois dans ce grand plat, dont l’odeur et la fumée m’empoisonnent ? — C’est le suc de cette pièce de bœuf que tu vois à côté, qu’on a extrait par le moyen de la chaleur du feu. — Mais le feu n’a-t-il pas gâté ta viande, et corrompu sa nature, puisqu’il a changé la couleur de ton bœuf ? ce suc dans ton estomac ne doit-il pas y former un levain de fureurs, ou altérer ta santé ? je m’étonne que tu parviennes à un âge fort avancé, en te nourrissant de pourriture et de chairs. »

Je vis des boudins ; je demandai ce que c’était que ces tuyaux noirs. « C’est un composé, me dit Ariste, de sang d’animaux et de leur graisse, que nous lions, selon notre coutume, avec force de sel, de poivre et d’épices. — Ô monstre épouvantable !