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INFIRMIER

Dans une telle atmosphère, les plaisanteries les plus innocentes ont de la saveur et la bonne humeur avec laquelle on accueillait ces boutades était un signe de l’état d’esprit, meilleur au fond qu’à la surface, qui régnait dans la ville sans femmes.

Certes, il y avait des cas pénibles. Ce brave ouvrier, par exemple, qui avait laissé chez lui sa femme et cinq ou six enfants en bas âge. Après deux ans d’internement, le malheureux se plaignait de ce que le plus jeune ne le connaissait plus. Un autre, père d’une fille de dix-sept ans, avait l’esprit torturé de ce qu’il avait appris que son enfant « tournait » mal.

Il y avait des situations plus délicates. Ainsi, le mari et l’amant de la même femme se trouvaient internés ensemble. C’était vraiment par trop cruel pour celle-ci !

Parfois on assistait à de brèves explosions de révolte d’un comique achevé. Un plombier, venu de Hamilton, je crois, passa plusieurs mois à l’hôpital paralysé par la goutte. Un jour, en recevant une lettre sur laquelle il y avait comme de juste la mention « prisonnier de guerre », il s’indigna violemment :

— Prisonnier de guerre ? Mais je n’ai jamais voulu faire la guerre, moi ! J’ai même déserté l’autre !

Un autre, un marin, auquel je reprochais de ne pas faire un certain travail me répondit :

— Je ne le ferai pas parce que rien ne m’attache à cette besogne. Je me fiche de savoir si mon refus est bien ou mal. Ce n’est pas ma vie de faire cela et je ne le ferai jamais.