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SANGLOTS D’AUTOMNE

N’ai-je pas raison ? Ne t’es-tu pas déjà habituée à mon absence ? On s’habitue à tout. Qui sait, même, si, un jour, — en admettant que l’on se retrouve — nous ne regretterons pas ce temps-ci ! L’homme est ainsi fait qu’il regrette même ses peines et ses souffrances.

Mais voilà, je me rends compte que tout cela est au-dessus de mes forces. Je pense que les grands stoïques sont, au fond, de grands égoïstes qui ont cherché à justifier leur aridité par une formule commode. Malheureusement, quand on a un cœur, on l’a pour longtemps. Surtout pour souffrir…

Un bruit de voix m’enlève à mes réflexions. Ce sont les camarades qui vont manger… Je me sauve. J’étouffe au milieu d’eux. Je suis fatigué de voir toujours les mêmes visages, d’entendre toujours les mêmes propos. Je suis agacé de ne pas pouvoir choisir d’autres visages à regarder, d’autres voix à écouter.

J’ai besoin d’autre chose !

Je fuis la cuisine, les baraques : tous les lieux où il peut y avoir du monde. Je ne vais pas très loin, hélas ! En quelques enjambées, à peine, j’atteins le barrage de fils de fer barbelés, ces fils qui nous entourent comme une obsession.

Pour la première fois, je les regarde de près. Je les touche. Ils ne sont pas grand chose. Des cordelettes métalliques, munies de pointes acérées.

À sept ou huit verges, un soldat enveloppé dans un manteau imperméable va et vient, le fusil à la main.

Je l’observe, lui aussi…