Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
158
LA VILLE SANS FEMMES

Comme l’attente est toujours très longue, on interpelle discrètement « l’officier postal » en arrivant :

— Dites-donc, soyez gentil ! Passez mon colis avant ceux des autres…

Lui répond par un clignement d’œil complice. Puis, pour ne mécontenter personne, il continue régulièrement sa besogne, sans céder à aucun appel.

Si les opérations de contrôle et de censure sont plutôt longues, elles ont au moins l’avantage de nous offrir un spectacle : celui du déballage des paquets des autres.

Ce qui domine dans tous ces envois, ce sont, d’abord, les cigares, les cigarettes ou le tabac à pipe. Chaque fumeur est gâté par les siens, selon la forme qu’affecte son vice mignon. Si plusieurs reçoivent toutes sortes de grâces de Dieu sous les formes les plus variées de fruits, de légumes, de caisses de pâtes, de saucissons, de fromages, de bonbons, de café, de bidons d’huile, de bouteilles de vinaigre, de conserves, d’autres, en revanche, ne reçoivent presque jamais rien ou seulement des objets d’usage personnel : des pantoufles, des savons, du dentifrice, une serviette, des chaussettes… La figure de ces pauvres diables se contracte comme celle des enfants lorsqu’ils s’aperçoivent que le Père Noël ne leur a apporté que des étrennes utiles.

Un petit bonhomme, frêle et menu comme un adolescent, aux manières recherchées, reçoit les envois de sa femme avec des débordements d’émotion. D’ailleurs, il est constamment tendu par la pensée vers celle qu’il a laissée chez lui. Les autres le regardent, apitoyés, car