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L’HEURE DU VAGUEMESTRE

Les lettres d’enfants étaient particulièrement touchantes. Et leur lecture n’allait jamais sans faire rougir les yeux des pères. Je me rappelle l’une d’entre elles, grossièrement tracée en caractères maladroits par un gosse de huit ans, qui disait : « Mon cher papa, je suis heureux de t’annoncer que je travaille chez le marchand de journaux, au coin de la rue, et que je gagne $1.50 par semaine. C’est moi, maintenant, qui achèterai ton tabac et te l’enverrai chaque semaine. »

Ce fut un spectacle navrant que celui des marins originaires de la Sicile et du midi de l’Italie lorsque les alliés commencèrent le débarquement chez eux. D’ordinaire, ces marins recevaient des nouvelles de leurs familles tous les trois mois par l’entremise de la Croix-Rouge internationale. À partir du moment où les régions habitées par leurs familles devinrent le théâtre d’opérations militaires, ils ne reçurent plus aucune nouvelle. Pour eux, l’heure de la distribution du courrier était devenue une sorte de tourment. Je les voyais sortir de la baraque, s’éloigner, comme pour se soustraire à une épreuve supérieure à leurs forces.

Le thème principal, pour ne pas dire unique, de la correspondance des internés, c’était la libération. Vers la fin, les lettres qui arrivaient étaient presque publiques car on les faisait circuler. Il y était toujours question de la sortie prochaine du camp et les commentaires allaient leur train.

— Ce que X et Y écrivent, disait l’un, c’est touchant. Ce sont de belles paroles, c’est un langage de douceur