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Page:Duliani - La ville sans femmes, 1945.djvu/56

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LA VILLE SANS FEMMES

— Voilà, fit le brave homme, vous qui êtes bien instruit, pourriez-vous me dire si l’Italie est entrée en guerre contre la France ou contre l’Allemagne ?

Paris avait capitulé ! Mais lui, cet homme candide, ignorait même aux mains de qui…

Car à plusieurs on ne pouvait reprocher que l’ignorance, une ignorance profonde et touchante, défaut d’autant plus déplorable qu’il n’est pas toujours apparent.

Et voilà : c’est de toutes ces réactions, du choc peut-être inévitable mais néanmoins douloureux de contrastes trop violents, qu’est fait le désarroi moral des habitants de notre petite ville.

J’admets que notre drame est minuscule comparé à tout ce qui se passe loin et près de nous. Et ce coin magnifique du Canada où le soleil est éblouissant à son lever et à son coucher devrait exercer une action bienfaisante sur nos âmes et nos esprits. Les cerfs font des grâces dans leurs ébats nautiques, sur l’autre rive du lac. Les oiseaux ont des accents mélodieux en lançant leurs trilles à toute volée du haut des arbres. Les écureuils prennent des poses cocasses ; dressés devant nous sur leurs petites pattes, ils nous regardent fixement de leurs yeux noirs mobiles…

C’est la nature solennelle et indifférente, qui se renouvelle depuis des millénaires et se moque placidement de l’état de paix ou de guerre dans lequel peuvent se trouver les hommes.

Cette nature est trop accueillante, cette paix trop riche, sans l’être aimé. Il faut être deux dans une gondole pour bien éprouver l’envoûtement de Venise.