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NOTRE VILLE

défilés en chemise noire… le déploiement de drapeaux… l’ivresse de faire un discours à la fin d’un banquet, le plaisir de paraître, de voir son nom imprimé dans un journal… À cela près se résume le principal reproche qu’on puisse faire à la plupart des internés italiens du camp.

Je n’ai rien entendu de plus pathétique que ces paroles qui me furent dites par un Italien arrivé au Canada en bas âge, naturalisé depuis trente-six ans et qui était parvenu à se créer une situation enviable à force de travail :

— La privation de ma liberté, l’éloignement de ma famille, la perte de mon temps et de mon argent, tout cela, je l’accepte sans rien dire. Ce qui m’humilie profondément, c’est l’idée que ma femme, une Canadienne, et mes fils, qui sont canadiens, puissent me soupçonner d’avoir trahi notre pays.

Je me rappelle un vieillard aux cheveux blancs mais d’une forte carrure qui, pendant notre séjour au premier camp où nous fûmes internés, à quelques milles de Montréal, fumait inlassablement des pipes, assis sur son lit, sans prononcer un mot. Je l’observais de temps en temps et, chaque fois que nos regards se croisaient, il clignait mystérieusement des yeux d’un air entendu.

Au bout de dix jours, comme, après le dîner, nous nous rencontrions à la sortie du réfectoire, il me saisit le coude et dit à voix basse :

— Je voudrais vous poser une question.

— Je vous écoute, répondis-je.