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LA VILLE SANS FEMMES

— Tu es un idiot !

— Répète voir, si tu en as le courage…

— J’ai dit « idiot » et je ne rétracte rien.

— Et moi, je vais te casser la g…

Les camarades s’interposent. On sépare les deux adversaires. Voilà la quatrième querelle qui éclate dans le camp à propos de bottes depuis le matin. Celle-ci a failli tourner au pugilat.

— C’est la chaleur, m’explique l’« ingénieur » occupé à présent à réparer un outil à aiguiser les lames de rasoir, mais c’est aussi et surtout l’énervement dans lequel nous vivons.

— C’est vrai, dit un autre, nous sommes isolés du monde et nous ignorons tout de ce qui se passe à l’extérieur. Nous ne savons même rien sur notre propre sort.

Cette conversation me crispe. Je laisse l’« ingénieur » à sa réparation et je m’en vais traîner dans notre « rue Ste-Catherine » blanchie par la chaleur. Il y a là une exposition de nus à faire devenir végétarien le carnassier le plus endurci. D’autant que le nu est porté de préférence par les gras, ce qui est conforme à la logique si l’esthétique n’y trouve pas son profit. Les gras sont plus pressés que les autres de faire fondre leur surplus. Les maigres y vont progressivement et de façon discrète. On dirait qu’ils ont honte d’étaler leurs os. Un personnage célèbre aussi bien par ses fonctions que par la rondeur de sa taille a été un des premiers à se… déboutonner complètement. Certains d’entre nous ont d’abord été offusqués d’un tel sans-gêne. Mais cet homme très populaire surprit bientôt