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SYMPHONIE EN VERT ET OR

ses admirateurs par la sveltesse de ligne qu’il acquit en très peu de temps.

Je me regarde à mon tour et je constate que l’effet combiné d’un penchant trop prononcé pour la bonne chair et d’une occupation trop sédentaire me donne un tour bedonnant qui ne laisse pas d’être inquiétant.

Et, comme les autres, je me mets à profiter de mes « vacances ». Un ouvrier en chômage, père de huit enfants, dit à côté de moi :

— Jamais mes moyens ne m’auraient permis de passer des vacances aussi salutaires !

— Cette existence au grand air va me donner de la santé pour tout l’hiver ! assure un employé de commerce malingre et courbé.

Mais le « philosophe », qui entend ces réflexions, éclate :

— Tout ça, dit-il, c’est des bravades ! C’est toujours de la logique sentimentale. Qu’on leur ouvre la grille d’entrée et tu les verras se sauver en courant et à pied s’il le faut pour arriver plus vite chez eux !

La plupart des hommes nus que j’aperçois, étendus à l’ombre, appartiennent à une génération usée, déjà sur le déclin. Plusieurs d’entre eux, qui n’ont pas eu une enfance heureuse, furent obligés de travailler durement dès l’adolescence. Ils sont arrivés très jeunes au Canada avec des groupes d’émigrants italiens, il y a trente ou quarante ans, et ont trimé péniblement avant de réussir plus ou moins dans différents domaines. Il y a ici des hommes riches qui ont travaillé comme des bêtes à l’âge où leurs petits camarades allaient encore à l’école. La pauvreté marque d’un