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LA VILLE SANS FEMMES


Le deuxième soir que j’occupai mon poste de « directeur » il se produisit une scène que je n’oublierai pas de si tôt.

Le propriétaire d’un élégant restaurant de Montréal se rétablissait d’une opération très délicate. Il souffrait déjà d’un mal impardonnable quand il fut appréhendé avec les autres, le 10 juin. Le malheureux, incapable d’aucun effort, tint bon jusqu’à son arrivée ici. Nous avions été placés dans la même baraque. Il y passait tout son temps, lisant ou jouant les cartes. Le mal qui le rongeait se révélait seulement dans ses prunelles qui s’enflammaient par moments d’une lueur fébrile.

Vint un jour où il parut avoir atteint la limite de sa résistance. Il se replia sur lui-même comme une plante desséchée. Il dut s’aliter. Et on le transporta à l’hôpital où il vécut trois semaines, miné sans répit par la souffrance, qui faisait tantôt pâlir et tantôt rougir les pommettes saillantes de son visage.

Les médecins allaient chaque matin lui dire bonjour, sachant bien qu’ils ne pouvaient plus rien faire pour lui. Il ne fallait pas désespérer, toutefois, car il arrive que la nature soit plus généreuse que la science et révèle dans le corps humain des ressources insoupçonnées.

Sur le conseil du chirurgien, les autorités du camp se firent envoyer l’historique clinique de la maladie et on demanda le transport du malade chez lui. Puis on attendit la réponse.

Ce soir-là, comme le « silence » avait enfermé tout le monde dans les baraques et que, à l’hôpital, six malades