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INFIRMIER

visite du médecin il finit par obtenir ce qu’il désirait : trois bonnes journées de repos.

C’est depuis que je vis avec des médecins et des malades que j’ai pénétré le sens profond de l’œuvre de Jules Romain Knock. Malgré tout ce qu’elle doit et emprunte à la science, la médecine reste un art. Et comme tous les arts elle a besoin d’une mise en scène. C’est pour cela qu’elle emprunte aussi beaucoup au théâtre de même qu’il est facilement compréhensible que tant de disciples d’Esculape se soient adonnés à la littérature.

Pour quelques vrais malades, il y a combien de paranoïaques, de névrosés, traqués par un mal imaginaire comme autrefois les gens l’étaient par un mauvais esprit. Ils viennent tous les jours, souffrant chaque fois d’une affection nouvelle. Ce qu’ils attendent, c’est « quelque chose », n’importe quoi, qui leur donnera l’illusion de la guérison. Je crois qu’on appelle cela en jargon médical « l’hospitalité »…

J’ai comme cela, ici, un habitué, un petit vieux que j’ai surnommé « le père Tranquille », qui s’émeut lui-même au récit de ses maux :

— Si je reste debout, j’ai mal… Si je m’assieds, j’ai mal… Si je mange, j’ai mal… Si je me couche, je dors mal… Donnez-moi quelque chose parce que je ne sais plus ce que je vais devenir.

En disant cela, sa voix sanglote et ses yeux s’emplissent de larmes sincères. On a essayé de tout. On lui a donné de tout. Des calmants, des lénitifs, des dépuratifs. Il avale tout consciencieusement puis s’en va, plié en courbettes, se