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ASCANIO.

au point de lui faire oublier Dieu, son père, son propre malheur.

Mais c’est bien de cela qu’il s’agissait ! Ascanio souffrait là, à deux pas ; il se mourait sans qu’elle pût le voir ! Ce n’était pas le moment de raisonner, mais de pleurer, pleurer toujours. Quand il serait sauvé, elle réfléchirait.

Le lendemain ce fut bien pis. Perrine guetta Ruperte, et dès qu’elle la vit sortir, se précipita dehors pour aller à la provision des nouvelles beaucoup plus qu’à la provision des vivres. Or, Ascanio n’était pas plus gravement malade ; Ascanio avait simplement refusé d’aller au Petit-Nesle sans vouloir répondre aux interrogations empressées de dame Ruperte autrement que par un silence obstiné. Les deux commères en étaient réduites aux conjectures. En effet, c’était une chose incompréhensible pour elles.

Quant à Colombe, elle ne chercha pas longtemps, elle se dit sur-le-champ : « Il sait tout ; il a appris que dans trois mois je serai la femme du comte d’Orbec, et il ne veut plus me voir. »

Son premier mouvement fut de savoir gré à son amant de sa colère et de sourire. Explique qui voudra cette secrète joie, nous ne sommes qu’historien. Mais bientôt en y réfléchissant, elle en voulut à Ascanio d’avoir pu croire qu’elle n’était pas désespérée d’une pareille union. — Il me méprise donc, se dit-elle. Toutes ces dispositions d’indignation ou de tendresse étaient bien dangereuses : elles dévoilaient ce cœur ignorant à lui-même. Colombe tout haut se disait qu’elle souhaitait ne plus voir Ascanio, mais tout bas elle l’attendait pour se justifier.

Et elle souffrait dans sa conscience timorée ; elle souffrait dans son amour méconnu.