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ASCANIO.

Dame Perrine était au rouet et filait. Colombe était à son métier et faisait de la tapisserie.

Toutes deux levèrent la tête en même temps et regardèrent du côté de la porte.

Colombe reconnut à l’instant même Ascanio. Elle l’attendait, quoique sa raison lui eût dit qu’il ne devait pas revenir. Quant à lui, lorsqu’il vit les yeux de la jeune fille se lever sur lui, quoique le regard qui sortait de ces yeux fût d’une douceur infinie, il crut qu’il allait mourir.

C’est qu’il avait prévu mille difficultés, c’est qu’il avait rêvé mille obstacles avant d’arriver à sa bien-aimée ; ces obstacles devaient l’exalter, ces difficultés devaient l’affermir, et voilà qu’au contraire toutes choses avaient été bonnement et simplement, comme si du premier coup Dieu, touché de la pureté de leur amour, l’avait encouragé et béni ; voilà qu’il se trouvait en face d’elle au moment où il s’y attendait le moins, si bien que de tout ce beau discours qu’il avait préparé, et dont l’ardente éloquence devait l’étonner et l’attendrir, il ne trouvait pas une phrase, pas un mot, pas une syllabe.

Colombe, de son côté, demeurait immobile et muette. Ces deux jeunes et pures existences qui, comme mariées d’avance dans le ciel, sentaient déjà qu’elles s’appartenaient, et qui, une fois rapprochées l’une de l’autre, devaient se confondre, et, comme celles de Salmacis et d’Hermaphrodite, n’en plus former qu’une, tout effrayées à cette première rencontre, tremblaient, hésitaient et restaient sans paroles l’une vis-à-vis de l’autre.

Ce fut dame Perrine qui se soulevant à demi sur sa chai-, se, tirant sa quenouille de son corset et s’appuyant sur la bobine de son rouet, rompit la première le silence.