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Page:Dumas.- Grand dictionnaire de cuisine, 1873.djvu/53

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sur laquelle on l’étend, on peut conserver le poisson trois ou quatre jours, c’est d’un homme imprévoyant qui ne va pas au-devant, par l’imagination, des accidents dont peut l’écraser la mauvaise fortune.

Ce fut sous le régent Philippe d’Orléans, c’est à ses petits soupers, c’est aux cuisiniers qu’il forma, qu’il paya et traita si royalement et si poliment, que nous devons l’excellente cuisine du XVIIIe siècle. Cette cuisine, tout à la fois savante et simple, que nous possédons aujourd’hui perfectionnée et complète, eut un développement immense, rapide, inespéré. Loin d’obscurcir l’intelligence, cette cuisine, pleine de verve, éveilla l’esprit en le fouettant ; et la conversation française, ce modèle des conversations européennes, trouva, de minuit à une heure du matin, entre la poire et le fromage, sa perfection à table.

Les grandes questions sociales qui se présentèrent alors étendirent le cercle de la conversation jusqu’aux grandes questions sociales qui avaient été remuées dans les siècles précédents et furent reprises à table avec plus de raison, de lumière et de profondeur par les Montesquieu, les Voltaire, les Diderot, les Helvétius, les d’Alembert, tandis que les finesses de la cuisine passaient aux Condé, aux Soubise, aux Richelieu, aux Talleyrand, et que, ô progrès immense ! on pouvait, chez un bon restaurateur, dîner pour douze francs aussi bien que chez M. de Talleyrand et mieux que chez Cambacérès.

Disons un mot de ces utiles établissements, dont parfois les chefs rivalisèrent avec les Beauvilliers et les Carême.

À Paris, ils ne comptent pas plus de quatre-vingt-dix à cent ans. Ils ne peuvent donc pas invoquer leur antiquité à l’appui de leur noblesse.

Les restaurateurs descendent en droite ligne des cabaretiers-taverniers, et de tout temps il y a eu des boutiques où l’on vendait du vin, et d’autres où l’on donnait à manger. Celles où l’on vendait du vin s’appelaient cabarets ; celles où l’on vendait à manger s’appelaient tavernes.

La profession des marchands de vin est une des plus anciennes qui subsistent dans la capitale. Boileau leur donne des statuts dès 1264, mais ils ne furent érigés en corps de communauté que